Stabilité initiale

HullCAO 5.0 Online help - Eric COLLARD
 
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La courbe des bras de levier ainsi tracée ne correspond pas, dans son entier, aux conditions normales de navigation: aux fortes inclinaisons, elle permet par exemple de vérifier si besoin le respect de critères réglementaires, et d’apprécier dans une certaine mesure la sécurité ultime du navire en situations extrêmes. Mais en principe un navire est destiné à naviguer à des angles d’inclinaison relativement faibles : quelques degrés, voire une dizaine ou une vingtaine, rarement plus, pour les navires à propulsion mécanique - selon la taille et les mouvements plus ou moins désordonnés qu’ils subissent à la mer - couramment jusqu’à une trentaine de degrés ou plus pour un voilier.

C’est la partie de la courbe correspondant à ces inclinaisons qui nous intéressera ici. On peut observer que, dans cette zone et dans la plupart des cas, la courbe reste souvent assez voisine de sa tangente à l’origine (inclinaison 0°), avec laquelle elle peut être considérée comme quasiment confondue. On peut donc admettre avec une approximation raisonnable et d’autant plus que l’angle est petit, qu’aux faibles inclinaisons les bras de levier varient de façon proportionnelle à l’inclinaison. Par exemple, l’écart entre la courbe réelle et sa tangente à l’origine sera de quelques % aux très petits angles, pour atteindre une valeur de l’ordre de 10% à 10 ou 15° selon le type de flotteur, et bien sûr nettement plus au-delà. Or s’il est complexe de calculer la valeur du bras de levier pour une inclinaison importante, il est par contre relativement simple de la calculer pour une inclinaison proche de zéro. Il est d’usage de le faire pour une inclinaison transversale de 1°. Le moment correspondant - appelé pour cette raison « moment unitaire ». désigné par Mut ou RM 1°, ou simplement RM (Righting Moment) - caractérise ce qu’on appelle la stabilité initiale du navire.

Pour évidente raison de symétrie, le métacentre M correspondant au flotteur en position droite (θ = 0°) est situé dans le plan longitudinal. C’est à dire que quand θ tend vers zéro, M tend vers H, et r tend vers h. Dans cette situation r, souvent désigné alors « r0 » et appelé « rayon métacentrique initial », est calculé (par I/V) dés lors qu’on connaît le contour de la flottaison et le volume immergé correspondant. Par exemple, si la flottaison est celle d’une barge de forme rectangulaire de longueur L et de largeur 1, le moment d’inertie de sa surface de flottaison est:

IT = (L.I3)/12

Si la flottaison (symétrique par rapport à l’axe longitudinal) a une forme quelconque, on la divise en autant de n rectangles équidistants que nécessaire pour obtenir une précision satisfaisante, dont on fait la somme des inerties, soit :


IT = ((L/n).Σ I3)/12


On obtient finalement:

r0 = ((L/n). Σ I3)/(12.V)

d’où, connaissant P et a (et en admettant équivalents les rayons métacentriques très voisins à 1° et 0°), le moment unitaire:

Mut = P.(r0-a).sin θ, avec = 1°

Dans cette expression la quantité P.(r0 - a) est appelée le « module de stabilité initiale transversale » du navire. (r0 - a) y est souvent désigné simplement GM (sous-entendu initial, ou GM0). On désignerait aussi de la même manière le « module de stabilité initiale longitudinale »: P.(R0 - a). On peut décomposer l’expression du moment en P.r0.sinθ-P.a.sinθ, soit (V.ω.I/V).sinθ-P.a.sinθ, ou ω.I.sinθ-P.a.sinθ : le premier terme (ω.I.sinθ), qui ne dépend que de la forme de la flottaison (à l’inclinaison θ) caractérise ce qu’on appelle la « stabilité de forme », tandis que le second (P.a.sinθ), qui dépend du poids (P) du navire et de la position de son centre de gravité (a), caractérise sa « stabilité de poids ».

Le moment unitaire peut donc être calculé rapidement (avec une simple calculette d’écolier) pour un projet de navire, même à l’état d’ébauche, dés lors qu’on a une idée sur:

  • sa forme de flottaison, dont il suffit de relever les largeurs à intervalles réguliers,
  • son déplacement (P), et
  • la hauteur estimée de son centre de gravité au dessus du centre de carène à l’origine (a), ce qui peut s’apprécier « graphiquement » avec une approximation souvent suffisante dans un premier temps.

La connaissance de sa valeur, même approximative, peut être immédiatement interprétée de façon pratique puisqu’il correspond précisément à la valeur du couple (inclinant) qui donnerait au navire une inclinaison de 1°. Par exemple une embarcation ayant un moment unitaire de 2 t.m prendra une inclinaison de 1° si on la charge de 1 tonne à 2 mètres du plan longitudinal, ou 2 t. à 1 m., ou encore environ 5° si on la charge 5 fois plus aux mêmes endroits etc.

Naturellement ce résultat devra être validé ou rectifié au fur et à mesure de l’avancement du projet, et ne saurait dispenser d’une étude plus complète de la stabilité lorsqu’on disposera des éléments pour la faire (formes, poids, centre de gravité). Mais dés le stade des études préliminaires, il peut fournir des renseignements précieux, en particulier si on dispose de quelques références de navires existants plus ou moins similaires. Il faut d’ailleurs aussi savoir que dans certains cas très particuliers, le moment initial peut être négatif alors que le navire retrouvera une stabilité normale pour une faible inclinaison mais au delà éventuellement de 1°, ce qui exigera alors de pousser plus loin l’investigation.

On retiendra encore de ce qui précède que, le rayon métacentrique variant comme le cube des dimensions de flottaison (l3) normales à l’axe d’inclinaison, le plus petit pour un navire considéré dans une position d’équilibre donnée est évidemment celui qui correspond aux largeurs et donc à une inclinaison transversale (r) (par exemple, si on considérait une inclinaison longitudinale - dont l’étude peut être faite pour exprimer une variation d’assiette, en partant du même principe que pour une inclinaison transversale - l’expression de R serait de la forme (l.L3)/(12.V), beaucoup plus grande que r). Comme l’équilibre est stable si le centre de gravité (G) est situé au dessous du point métacentrique (H) - ou du métacentre (M) si on considère la stabilité initiale -, si il l’est pour une inclinaison transversale, il le sera à fortiori pour toute autre direction d’inclinaison. C’est la raison pour laquelle l’étude de la stabilité d’un navire se réduit d’abord à celle de sa stabilité transversale qui peut varier de façon significative pour de faibles variations des largeurs de flottaison. Par ailleurs, on peut avoir à étudier la stabilité pour des « cas de chargement » correspondant à des situations d’assiettes différentes. Pour des conditions isocarènes, une assiette négative entraîne en général une dégradation de la stabilité, tandis qu’à l’inverse, une assiette positive l’améliore (ce qui est dû au fait que la flottaison s’élargit, avec l’enfoncement, habituellement plus à l’arrière qu’à l’avant).

Il faut encore mentionner ici deux problèmes qui peuvent avoir des implications majeures sur la stabilité des navires celui d’une part des « poids suspendus », et d’autre part celui des « carènes liquides ». Dans ce qui précède le navire a été considéré, pour un chargement déterminé, comme constitué d’un ensemble de poids fixes. Mais il peut arriver que certains poids soient, à un moment donné, mobiles. C’est le cas par exemple de charges qui peuvent être suspendues à un point fixe du navire (marchandises lors de leur déchargement par un mât de charge, embarcation de service lors de sa mise à l’eau par une grue du navire, poche de chalut suspendue à un portique ...), ou encore de liquides se trouvant normalement à bord dans les réservoirs, ou accidentellement dans des cales ou locaux divers, qui suivent les mouvements du navire et constituent ce qu’on appelle des « carènes liquides ».